mardi 17 janvier 2017

Sainte Honorine

Enfoncée dans l'éphémérité de ta sépulture, je tremble. Je crains le jour suivant. Je crains de ne pas être suffisamment vivante pour combler les silences. Je ne me sens pas l'âme d'une combattante. La vie ne tient jamais très longtemps ses promesses et nous sommes seuls devant l'adversité, profondément attachés à nos racines et nous suffoquons dans la douleur de nos fébriles vies de papier...


 Depuis quelques heures, l'embrun tombe sur le chalutier et la tempête fait rage. Nous sommes tombés en embuscade. Le paquebot tangue dangereusement,  les eaux se déchainent et menacent de nous renverser. Le capitaine impuissant voit ses hommes tomber un à un par dessus la rambarde du bateau sans réussir à reprendre le contrôle de son embarcation. Il finit lui-même par trébucher et se heurter la tête contre son gouvernail. Le sang se répand rapidement sur le sommet de son crâne et il s'effondre mollement dans les tentacules tendues de sa reine qui réclame son plus fidèle despote.

Des années de voyage clairsemés de précipices bleutés ont fortifié son goût pour l'aventure. Il n'a pas hésité à abandonner les terres accueillantes et fertiles qui l'ont vu jadis naître pour se consacrer corps et âme à ses immensités qui n'en finissent jamais de se perdre sur le fil de l'horizon. Sa vie de solitaire était totalement dévouée à la mer et a permis de forger l'homme et le vieil homme qu'il était en passe de devenir. La promesse d'une terre promise était la seule obsession qui le tenait encore debout depuis que la passion s'était dissoute dans ses têtes à têtes improbables avec mère nature. Il venait d'offrir ses plus belles années à un partenaire qui ne faisait que couler impassible autour de son navire sans jamais ne lui offrir qu'un semblant de liberté. Partenaire qui, par la force des vents, n'hésitait pas à éventrer ses embarcations quand sa paisible surface se mouvait en un jeu mortellement dangereux. Le risque toujours grandissant de ne pas résister à sa force dévastatrice a fini par lui couter la vie. Eternellement piégé dans ses eaux de glace, le voici condamné malgré lui à errer dans le cœur d'une vague et cela jusqu'à ce que sa traitresse infidèle décidera de lever sa pénitence.

Cet homme n'avait connu ni femme, ni enfant et avait toujours passé sa vie bercé entre deux eaux. Son équipage était tout ce qu'il connaissait des hommes, et ils étaient le dernier rempart entre lui et la civilisation. Ils le ramenaient de temps en temps à quai pour l'emmener dans un de ces bars miteux où ils avaient coutume d'écraser leurs coudes après chaque périple maritime. La bière coulait à flot et les filles leur tenaient compagnie durant ces brèves escales. Ils parlaient bruyamment et riaient fort dans la moiteur de ces caves embrumées de vapeurs d'alcool et d'insupportables odeurs de tabac froid. Ils y étrennaient la féminité et enfonçaient leur langue dans la gorge profonde de ces plantureuses statues de fertilité qu'ils convoitaient et dont la présence manquait pendant leurs longs voyages. Les femmes connaissaient leur principale rivale et elles le savait, ils embrassaient plus souvent la calamité que leurs lèvres charnues et tendues. Ces hommes fougueux se perdaient souvent sur ces chalutiers branlants en se demandant quand ils allaient se heurter à la mauvaise fortune. Alors ils priaient chaque soir pour que les cieux soient suffisamment cléments avec leur jeunesse maladroite tout en espérant ne pas voir arriver la dernière heure. Tout le monde le savait, les matelots ne revenaient pas toujours. Ils ne restaient bien souvent d'eux que des souvenirs et des brides de leurs adieux sur les quais infestés de belles de nuit. A l'aube, des dizaines de sottes venaient pleurer les hommes qui embarquaient et elles couraient tout en remuant leurs mouchoirs, devant ces immenses bateaux pour leur dire adieu et à jamais.


La pluie ruisselait encore mais les grondements furieux ne résonnaient plus. Le trouble des flots n'était plus aussi violent et les vents caressaient à présent les bancs de sable qui roulaient sur eux-mêmes. La carcasse du vaisseau de mer et les corps sans vies assuraient que la nuit avait été particulièrement meurtrière. Le petit peuple de l'eau venait de périr non sans s'être battus contre le déchainement des éléments mais pas un seul n'a survécu à la bataille. Les eaux incontrôlables laissaient présager cette fin tragique et nos héros sans noms ont rejoint leurs prédécesseurs dans le saint sacrément de leur témérité. Les matelots reposent à présent en paix dans ce paradis flottant et immaculé où les ailes ne sont pas d'acier quand Sainte Honorite veille sur ses pêcheurs et les délivrent de tous leurs maux.

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