J'ai dessiné un archipel, une clairière avec vue sur la plaine et dans cet espace clair, j'ai dessiné une bouteille ébréchée. Je pensais prendre ma plus belle plume et me mettre à vous conter une belle histoire d'amour épistolaire. Transformer deux individus lambda en de séduisants amants et au gré des lignes, les rendre irrésistibles. "Alors que vous les pensiez un brin pathétiques, ils sont les nouveaux Roméo et Juliette, les amoureux modernes d'un avenir un peu hasardeux mais pour qui finalement tout s'avère être possible". Ma phrase d'accroche était toute pensée et puis, j'ai renoncé à gratter le papier, à vous raconter des histoires à dormir debout, à faire rêver les fous. Je pourrais écrire des romans à l'eau de rose, écrire pour les jeunes filles en fleur et devenir célèbre comme d'autres auteurs. Comme souvent, cela ne m’intéresse pas parce que les histoires trop platoniques m'ennuient plus qu'elles ne me distraient. Je veux étaler ma haine, ma peur et mes doutes dans cette prose un peu mélancolique que je vous distribue comme les propos un peu honteux écrient sur le vif dans un journal intime. Dans ces mots que l'on accole les uns aux autres même si la pensée est un peu désordonnée et que le discours de départ est un peu effacé par le temps. Les syllabes accrochent et décrochent quelques exclamations, certaines interrogations et mettent en lumière des problèmes de linguistique, des accords de verbes et de phrases faussement francisées. Je ne suis pas une experte dans mon domaine, je ne crois pas maîtriser parfaitement la langue de Molière mais je ne m'arrêterai pas pour si peu, je ne cesserai pas d'écrire les maux bleus, les cris de l'âme qui me rappellent souvent à eux quand le ciel s'obscurcit et que la nuit tombe sur la ville endormie. Je dis Roméo et je pense Juliette, la fuite avant le lâcher-prise, la haine avant l'amour et la peine en crescendo sur l'échelle de Richter. J'ai passé mon tour dans les numéros d'adulescents où il est encore possible de croire que un plus un donne le nombre infini. Je ne vois plus rien d'idéal dans ces conjugaisons devenues obsolètes, le temps et l'expérience a terni les sentiments et les attentes. Je n'ai jamais aussi bien portée l'encre que j'ai coulé sur ma poitrine, je suis finalement devenue aussi rêche et froide qu'un morceau de pierre. Je suis à l'instar de ces hommes qui ont porté le dégoût de l'amour jusqu'à mes lèvres, leur dégoût des femmes et de leur incontestable infériorité. De mon père, cet anti-héros à ces incrédules qui ont drainé ma vie comme les fleuves traversent les montagnes, creusant ainsi le sillon de mes désillusions. Je porte cette tare émotionnelle comme le poids de mon fardeau quotidien, à bras-le-corps toujours dans cette lutte obsessionnelle qu'un bras de fer contre la mort pourrait me sauver de l'enfer. Relier les points tour à tour, deviner les contours et dessiner les carnassiers dans leur environnement naturel. Je ferme les yeux et j'imagine le carnage mené par un parfait rapport de dominant et de dominés que l'on dira poussé par la furie de ces comparses sanguinaires qui décimeront des villes entières, à feu et à sang, poussant au plus loin mon allégorie du monde humain et de son autosuffisance dans la bêtise. Je tombe de fatigue, mes paupières s'alourdissent et ma nuque se raidie, le phénomène est cyclique mais finit par devenir répétitif, ces signes avant-coureurs sont fatidiques. J'ai fini par dormir debout, sans fermer les yeux tout en continuant de regarder le monde ne sachant plus si c'est lui qui me tourne autour ou si inversement je lui fait la cour frénétiquement. Je vous salue des rives de l'Adige pour terminer ma chute en haut d'une tour. Je dis ainsi adieu aux Capulet et aux Montaigu que le sort haineux n'aura pas su épargner.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire