lundi 3 avril 2017

La complainte du damné

Le cargo s'enfonce dans l'obscurité en emmenant avec lui toutes les illusions et les désespoirs qui ont causé la perte de nombreux naufragés. Il vogue tel un assassin sur les couches aqueuses de son absolution. Le fleuve coule silencieux dans le fracas de nos souvenirs quand au lointain, nous entendons Big Ben qui retentit majestueux dans les catacombes de la ville étourdie par l'allégresse de sa beauté. L'heure de notre départ venait de sonner, nous le présagions, c'était la fin de notre voyage.

Les heures défilent, elles défilent lentement sous les coups meurtriers de sa mesure. Je ressens chaque seconde me transpercer et me frapper. La vie est violente quand elle crépite sous les feux de ses projecteurs. Depuis la nuit des temps, nous faisons figure de marionnettes ivres de ses pirouettes incessantes qui nous forcent bien malgré nous à marcher sur la tête. Nos protestations ne servent qu'à grossir les traits de ce tableau pittoresque qui dépeint la soumission dans ses plus grandes victoires.

Je gamberge dans le clerc de mes idées noires avant qu'elles n'inondent complètement mes synapses et qu'il ne me reste plus aucune place pour l'espoir. Etouffée par ce bras invisible qui m'enserre la gorge, je ressens la mort m'étourdir et m'envahir de tout son poids. Mes membres engourdis ne répondent plus, ma tête se heurte violemment à l'existence même de cette force dévastatrice qui m'assaille totalement. Assiégée à sa suprématie, je plonge mollement dans cet absolu chao d'où les vivants ne reviennent jamais et je sombre, je sombre lentement jusqu'à appartenir au monde de l'oubli. Je bois sans retenue le poison de cette fiole que me tend l'existence et je crache la vie par tous mes orifices avant de m'allonger à mon tour, sur cette montagne humaine en décomposition, signe impérial de notre dévotion à l'absurde.

Telle une réchappée de l'enfer, je bois le sang de mes ennemis et je condamne la moralité chrétienne et toutes les immondices que les hommes drainent à longueur de journée. Je sacrifie les fous à l'autel de leur miséricorde parce que tout, absolument tout me renvoi à eux. Je ne suis qu'un fantôme de plus qui échafaude des plans miteux pour rejoindre la lumière et baigner sous le soleil enjôleur de cette tenture splendide où la pénombre n'existe pas. Mais l'obscurité est une tentatrice impétueuse et sournoise qui me rattrape à chaque étage. Elle me séduit sans vergogne pour mieux m'enlacer de ses tentacules funestes. Elle me supplie de ne pas partir et me garde de ne pas m'échapper.

C'est un cri de désespoir. C'est un cri de haine. Une complainte de damné qui ne dépassera pas la ligne d'arrivée. Le temps n'est décidément pas mon plus fidèle despote. Je suis un enfant mort-né qui pleure le sein duquel il n'a jamais rien pu tirer de rassurant et de nourrissant. Si le lait abreuve les petits grassouillets en culotte courte, le sang quand à lui, fraichement tirés des alvéoles brunâtres de la poitrine maternelle n'aura permis que de satisfaire la férocité et l'appétit des bouches de l'enfer.

Sous les mains de l'étrangleur, la vie a bien peu de valeurs. Son regard meurtrier condamne sans une once de remords et il écume les sourires de ses victimes à grand renfort de coups et de morsures. Il rend les frappes qu'il a lui-même reçu afin de prétendre à une certaine forme d'égalité. Le chao appelle le chao et rien n'est en mesure de modifier cette loi de l'adversité.


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