mardi 4 octobre 2016

Les bêtes

La trêve hivernale. Les brumes automnales. L'incandescence du bois qui brûle dans les cheminées. Et les bêtes....

Les flammes crépitent et les cendres virevoltent dans le vestibule de son foyer. Sa chaleur rassurante enveloppe et réconforte les résidants venus se réchauffer un instant. Certains discutent, d'autres écoutent en silence, d'autres lisent ou simplement se reposent au coin du feu. Ils sont nombreux à aimer se retrouver là dans l'intimité de la pièce de vie. La vie moderne n'a pas les charmes de ces édifices de pierre qui surplombent depuis des siècles les bâtisses. Il n'y a rien qui puisse leur ajouter plus de noblesse que cette inébranlable pièce maitresse. Les générations n'ont eu de cesse de se succéder pour raviver son cœur lorsque le froid et l'humidité menaçaient de les rendre en mauvaise santé. Sans lui, les fièvres auraient pu emporter les plus faibles et distribuer sa peste aux autres membres de la famille.

Dehors, la lune éclairait les pieds de vignes qui s'étendaient à perte de vue. La ferme surplombait ce grand terrain depuis des centaines d'années. Elle avait logé sous son toit depuis la toute première génération de vignerons jusqu'à ces plus jeunes héritiers. Une ferme centenaire qui aura servi de logis au tout premier fils de la lignée qui avait eu, à cette époque, la brillante idée d'enraciner ces centaines d'hectares de terre en les allouant à la plus vaste commercialisation de vin du Pays. Malgré des débuts sinueux et de grandes périodes de disette, il avait bataillé des années avant de mener une vaste campagne de production humaine, matérielle et pécuniaire. Sa réputation, il l'avait bâtie de ses propres mains et cela vaut aujourd'hui l'usufruit de son dur labeur.

Pourtant, son manque d'expérience et sa ténacité n'ont pas souvent aidé ce petit homme a se faire aimer de ses comparses. Sa réussite chevronnée lui a apporté davantage de convoitise et de jalousie. Peu nombreuses ont été ces âmes charitables qui l'ont aidé dans sa  cause et qui lui ont apporté de l'aide et du soutien quand il en avait besoin. Il les surnommait les bêtes. Eux qui tour à tour pillaient, saccageaient et brûlaient ses récoltes dans le seul but de l'éprouver et de lui retirer le gagne de ses mois d'efforts. Les bêtes le méprisaient tant et tellement qu'elles le persécutaient jour et nuit. Elles ne lui offraient jamais de répit. La moindre de leur force servait de rempart à la terreur et leurs cervelles cramoisies par la bêtise n'avaient qu'un seul but, le détruire.

Mais rien ni personne ne pouvait ralentir son ascension sur l'échelle sociale. Son destin. Son histoire. Tout lui appartenait jusqu'à la moindre fibre de ces guenilles. Et cette course effrénée n'avait qu'un seul but, sa revanche contre une vie de misère qu'il avait mené dans ses jeunes années. Chaque jour portait son lot de déconvenues mais jamais il ne tomba les bras. Il se penchait sur tous ces murs qui s'érigeaient devant lui et qui se disaient infranchissables. Par la force des choses, il trouvait le moyen de bousculer les codes et de faire tomber les idées reçues. Non il ne connaissait rien au vin à ses débuts et il a appris son métier au fil du temps. Il a gagné le respect de ses pairs après des années de luttes acharnées.

Ses terres viticoles se devinent depuis les vallées voisines et tout le monde ne parle que de cet homme, son courage et ce patrimoine d'une valeur inestimable qu'il a laissé derrière lui après plus de soixante ans de règne sur ce domaine. Véritable maitre d'orchestre, il a œuvré pour ses vignes, les rendant résistantes aux intempéries, au temps et aux diverses attaques. Des troncs, épais, noueux et entortillés sur eux-mêmes sont logés dans ses terres et passent vaillamment les saisons pour donner le meilleur de leur grappes bien fournies qui nourrissent les meilleurs crus année après année.




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