jeudi 24 mars 2016

Fossoyeur

Tu me craques comme une allumette pour fumer ta dernière cigarette, comme le paquet vide que tu viens de jeter, je finirais sur un bord de trottoir, sur le rebord d'une marche où simplement sous la semelle de ta chaussure. Consumée, étreinte jusqu'à la dernière fibre de ma tige, je me suis vidée de ma flamme sacrificielle pour satisfaire ton addiction pathologique. Tu continues ton chemin sans te retourner sur les décombres de la cité des anges perdus, en bon fossoyeur, tu as creusé les fosses et ensevelie les traces de ton passé honteux, entre les bouteilles d'alcool et les vieilles photos. Tu amasses peu de monnaie et tu dépenses sans compter pour remplir décemment les armoires, vivre un peu plus dignement. Seul et attristé, tu rejoins régulièrement ton quartier général pour gargariser ta douleur et dans un dernier élan de camaraderie, tu participes lascivement aux brèves de comptoir où tu t'enivres médiocrement pour assainir les idées noires. Mais qu'importe si la nuit tombe, tu rentreras tard et les heures douloureuses s'attarderont encore sur ta mine grisée et tes doigts jaunis par tes abus de nicotine. La vieillesse laisse de vilaines traces sur ton visage, les excès creusent tes joues meurtries et te dessine un sourire édenté. Les abîmes laissent des marques indélébiles et ne manquent jamais une occasion de rappeler à ses partisans que la vie de débauche a un prix à payer, que la dividende est la valeur marchande du pacte diabolique que tous ces pêcheurs ont signé, un jour, pour flirter avec la mort.

La ville s'éveille. Le grondement des machines se perd en écho sous tes fenêtres, reclus dans ton deux pièces tu tournes comme un lion dans sa cage de fer. La journée s'étiole chaque seconde davantage, la noirceur de ton humeur se mêle au silence cathartique qui emplisse la pièce de tes craintes. L'horloge du temps défile sous ses immuables aiguilles, rien ne peut stopper sa progression. Le prochain convoi a pour destination la terre promise, les rails invisibles te conduiront aux portes de ton destin. A ta montre, il est enfin l'heure de monter à bord de ce train. Tu fais partie des prochains rapatriés, ton nom s'inscrit en lettres d'or sur la liste des passagers, ce voyage sera le dernier. 

Tu as choisi d'éteindre la pénibilité de ta vie terrestre, tu te balances de gauche à droite,  la lourdeur de ton cou meurtri a brisé tes rêves. Ton cœur a cessé de battre, ta poitrine ne se soulèvera plus sous les soubresauts de ta respiration. L'enfant a d'ores et déjà quitté ce corps d'adulte abimé pour rejoindre le pays imaginaire où jamais plus personne ne pourra atteindre sa joyeuseté et son éternelle naïveté.

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